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L'art du tissage

 

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Les tapis

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Vidéo sur la fabrication des tapis à Ouarzazate de A à Z

 

Le tissage des toiles de tente berbère traditionnelle

Les tentes berbères traditionnelles étaient ordinairement en laine. On les tissait par longues bandes ("aflij" en berbère et "flij" en arabe) sans se servir de métier à tisser à proprement parler. La chaîne est tendue entre des piquets plantés dans la terre; deux montants qu'on déplace au fur et à mesure de l'avancement du travail maintiennent la lice. L'entrecroisement des fils de trame est obtenu comme avec le métier de haute lice qui sert à tisser les vêtements; les fils sont tassés à l'aide d'une barre de bois.

Tissage chez les Aït Hadiddou (1937-1939)

Les "flij" sont ensuite teints en noir puis assemblés pour former la tente. Périodiquement, on change une ou deux bandes en plaçant toujours les neuves au milieu, partie qui fatigue le plus.

La couture de la tente est l'occasion d'une petite fête à laquelle prennent part les voisins. Les réjouissances s'accompagnent de gestes et de paroles qui ont pour objet d'empêcher les "flij" de laisser passer la pluie.

Les croyances liées au métier à tisser et au tissage

Le métier à tisser est très personnifié et n'est pas un objet comme les autres. C'est un être familier qui demande beaucoup d'attention et de respect. Les villageoises le saluent chaque matin. On n'accroche rien sur les montants et il est interdit de s'asseoir sur l'ensouple inférieure. Avec la trame, on nourrit la chaîne et au cadre du métier, on donne du grain. "C'est un être vivant qui ne parle pas, qui n'a pas de sang mais qui possède une âme". L'âme ("rruh") se trouve au croisement des deux nappes de fils de trame dans lequel est glissé un roseau ("aghanim") au moment de l'ourdissage.

Lorsque ce dernier vient à en sortir, on considère que "le métier à tisser est mort et il faut le refaire".

Le tissage incarne à la fois la virginité et l'impuissance masculine tout comme la mort et la naissance. Les roseaux utilisés avec le métier à tisser sont aussi employés dans le cadre du mariage, de la naissance et de la circoncision mais servent également à fixer la taille d'un linceul. Le roseau protège celui qui s'en sert le mieux. L'époux peut profiter de ses faveurs comme il peut en être victime quand les femmes l'utilisent contre lui comme une baguette magique. Il est également associé à la fécondité et à la naissance. Les villageoises le jettent parfois dans l'eau pour savoir si elles attendent un enfant. Dès que le métier est démonté, la femme enceinte peut s'emparer d'un des roseaux et courir à la porte d'entrée. Elle accouchera d'une fille si elle croise une femme et d'un garçon si son regard se pose sur un homme.

Lors du filage, on dit que le fuseau est un outil magique qui transforme une masse de laine en fil solide investi de croyances religieuses ; on l’accroche au cou des vaches venant de vêler et qui sont les proies de l’invisible.

Il y a beaucoup de mystère et d’étranges vertus dans la laine. D’une toison, elle devient un fil et d’un fil elle devient un vêtement ; elle est blanche, couleur de bon augure ; elle participe à la « baraka » de la brebis et du bélier. Un flocon de laine passé dans la coiffe suffit à assurer la protection de la fileuse. On noue un brin de laine à la patte du mulet, de la jument ou à la queue de la vache qu’on vient d’acheter pour attirer sur eux la bénédiction. Chez les Aït Hadiddou, le matin du mariage, on enroule un fil de laine autour des doigts de la mariée. Le mari le déroulera le soir.

Lors de l'ourdissage, on ne peut gêner le montage du métier sans offenser les génies qui le protègent. L’espace de l’ourdissage est sacré, le traverser serait le bafouer. Il y a dans ces fils qu’on entrecroise tant de fatalités qui se nouent si le Diable s’en mêle. C’est habituellement une vieille femme qui la dirige et fait le va-et-vient avec la pelote. « Vieille femme, pire que Satan », le met en fuite.

Dressé verticalement, le métier à tisser ne doit quitter sa place sous aucun prétexte. Un tissage en cours ne peut pénétrer dans une maison sans menacer gravement la vie de ses habitants. Mais en cas de nécessité absolue des rites propitiatoires peuvent conjurer le mauvais sort à condition que l’ouvrage inachevé évite le seuil et qu’il entre par la terrasse ou la fenêtre. Il ne doit pas affecter le pas de la porte d’entrée.

Le peigne possède des vertus magiques; on l'utilise notamment pour connaître les pensées de celui qui s'est absenté depuis longtemps.

Le métier à tisser doit être manier avec précaution. Si en passant la trame la main traverse une des nappes de la chaîne, quelqu'un mourra. Lorsque les tisserandes travaillent à deux, l'une introduit le fil d'un côté, l'autre de l'autre; si les fils, trop courts, laissent un espace entre eux, c'est "un linceul". Une fois le métier dressé, la fillette se faufile en présence de sa mère dans le passage laissé par les fils de chaîne et les montants. Ainsi la villageoise s'approprie la virginité de l'enfant qui devra faire le chemin inverse la veille de ses noces pour rompre le charme. L'étroit passage du métier à tisser ne doit pas être souillé. Le petit garçon qui l'emprunte doit faire le parcours inverse sinon la malédiction pourrait le frapper d'impuissance si des paroles maléfiques venaient à être prononcées au même moment.

L'interdit doit être respecté. On rappelle parfois aux enfants l'histoire de cet âne imprudent qui fut jeté par sa maîtresse dans un précipice après avoir heurté le fil de chaîne. Un coq ou une poule qui franchirait cet espace sacré serait égorgé et mangé sur le champ "pour que le propriétaire du tissage ne meure pas".

Lorsqu'un mourant est à l'agonie depuis longtemps, c'est que son âme a de la peine à se détacher. On lui passe alors sur le corps une ensouple avec ses fils de chaîne coupés pour lui "faciliter la mort".

La fin du tissage est toujours une souffrance "car c'est comme un être humain"; "il est lié au coeur et lorsqu'on le coupe c'est comme si on le tuait".

Le tissage, sacré, est strictement personnel. L'offenser risque de porter malheur à son destinataire. Il existe une histoire qui raconte qu'un étranger, venu de loin, a abusé de la confiance d'une famille. Après avoir profité de l'hospitalité qui lui était offerte, il s'est emparé du burnous que la maîtresse de maison avait tissé pour son fils dont il se disait l'ami. Le vol du burnous a suscité beaucoup d'émoi au sein du groupe. Le vêtement tissé est le double de son propriétaire et en incarne la mémoire. Souvent hérité de son père, il fait partie de son trésor, rangé dans la réserve. Le tissage en cours grandit à la lumière mais c'est dans la stricte intimité, à l'abri du regard des hommes que les femmes le séparent de son cadre: "On a peur qu'ils meurent s'ils voient sa finition"; "ils risquent de mourir par le fer".

Au terme de son ouvrage, la villageoise met de l'eau dans un bol, y trempe le peigne ("taska") à plusieurs reprises et frappe une dernière fois sur toute la longueur des deux derniers fils de trame qu'elle a fait passer ensemble. Puis par souci de protection, pour éloigner les génies qui en ont horreur, elle casse un bloc de sel aux deux extrémités de la poutre du ciel. En même temps, elle psalmodie la formule de bénédiction que dit la "qabla" (accoucheuse traditionnelle) avant de séparer physiquement la mère de l'enfant comme si la rupture des fils du tissu rappelait celle du cordon ombilical. Avec le couteau qu'elle a aiguisé sur une pierre, elle sectionne les fils de chaîne de manière à former 3, 6 ou 7 ouvertures qui sont les "portes du Paradis". Puis elle sépare complètement le tissu de son support supérieur qui en conserve les franges chargées d'une forte baraka. Elle dépose à terre l'ouvrage enroulé et elle démonte le reste du métier en coupant les liens qui retiennent entre elles les pièces qui le composaient (poutres horizontales, montants verticaux). L'eau sacrée restée dans le bol est la vie du tapis. On en abreuve alors les plantes qui absorbent son âme.

Les liens entre le tissage et la terre

Le tissage est le témoignage de la richesse matérielle, il est donc le miroir de la réserve, incarnant la taille du cheptel ou l'argent nécessaire à l'achat de la laine. Les tapis, couvertures et vêtements de laine sont soigneusement rangés dans la pièce la plus visitée pour être toujours prêts à être dépliés en l'honneur des invités. Les pièces tissées témoignent de la qualité de la fille et de son ardeur à la tâche.

Mais le prestige apporté par le tissage n'est pas la seule raison de son maintien. Les femmes, gardiennes des coutumes, le perpétuent selon la tradition orale: "La fille du Prophète a inventé le premier métier à tisser de la région". Ainsi le métier à tisser est "d'essence divine et ses outils en or sont descendus du ciel. Le tissu entamé par la fille du Prophète avant sa mort est toujours placé à son domicile à La Mecque. Si quelqu'un venait à l'abîmer, il n'existerait plus de baraka dans le tissage".

Le tissage réunit des croyances locales profondément ancrées dans le milieu et son lien à la terre est fort. Ce sont les laboureurs qui ont appris et transmis aux femmes la patience nécessaire. Le tissage incarne la famille et le fruit commun des efforts comme le champ. Dans l'espace domestique il reflète au féminin la cohésion familiale masculine du dehors. "Deux araires dans un même champ et deux métiers à tisser sous un même toit apportent le malheur dans une famille". Une maîtresse de maison ne peut tolérer une telle chose sans mettre ses jours en danger. En effet, "si deux métiers à tisser se trouvent dans la même maison, on a peur que la maîtresse de maison meure et qu'une deuxième femme vienne la remplacer".

Les tisserandes associent le tissage, la terre et la famille même dans leurs chants:

 

"Ale'awn awdi abu ifer ay aghanim

Awali siato id ar katon ay akal"

 

"Salut à toi feuille du roseau

Qui sert à séparer les nappes de fil et la terre"

Placé dans la maison en face de la porte par souci de lumière, le métier à tisser est le miroir du monde. Les deux piquets qui ont servi à l'ourdissage et qui ont permis l'enroulement des fils de la chaîne symbolisent le soleil et la lune. La poutre du haut porte le nom d'ensouple du ciel ("ifgig n ignwan"), la poutre du bas s'appelle l'ensouple de la terre ("ifgig n wakal"). Elles sont le reflet du dehors et du cycle de la vie et ne peuvent exister l'une sans l'autre. Les villageoises fredonnent d'ailleurs: "L'or de la poutre du ciel donne la lumière à la terre" ("Igawurf ifgig ifka nur i wakal"), ce qui signifie: "S'il n'y a pas de poutre du ciel, il n'existe pas de lumière sur la terre. C'est la poutre du ciel qui procure la lumière au tapis".

La forme rectangulaire du métier et la régularité de ses fils de chaîne évoquent les sillons labourés. Le champ et le tissage ont d'ailleurs le même instrument de mesure "l'aghanim". Ce roseau est chargé d'une forte valeur symbolique. Dans certaines régions de l'Atlas, le terme "tasgwrt" est employé aussi bien pour désigner un rang de tissage que la première ligne creusée dans le sol. "Tasgwrt n wakal" désigne le premier sillon de la terre alors que "Tasgwrt n wasta" se réfère au "sillon de la nappe de fils". L'expression "At tawit tasgwrt" signifie à la fois "tu laboures" ou "tu tisses". C'est le contexte et l'interlocuteur auquel cette expression s'adresse qui lui donne tout son sens. Cette analogie se retrouve également en Kabylie où le mot "adraf" (fil de trame) et le sillon du champ ("idrf") ont le même pluriel ("idrfan").

Le début du labour et les premières phases du montage du métier à tisser ont des rituels semblables. Les femmes déposent dans l'"agi" (van en fibres végétales dans lequel on tamise de la farine) ou dans la "taryalt" (panier en fibres végétales utilisé pour la mariée) des oeufs cuits, des figues et des grenades que le paysan peut écraser sur le soc de sa charrue. Les grenades et les figues contiennent de nombreux grains dont la présence suscite l'abondance et la fécondité. On met ainsi des figues et des grenades pour qu'il y ait dans le champ autant de grains qu'il y en a dans ces fruits.

La magie contente les génies du champ qui favorisent la fertilité. Elle satisfait aussi ceux qui protègent la baraka du tissage. L'oeuf, comme les fruits denses de grains, a un pouvoir bénéfique. On l'associe toujours aux cérémonies du mariage et de la circoncision car sa couleur blanche protège contre le mauvais oeil.

La terre est liée à la laine comme l'eau brunie par le pigment l'est à la pluie de couleur d'argile. Pour apprécier l'intensité du colorant qui va couvrir l'écheveau de laine, les femmes utilisent une louche en bois ("aghunja") qu'elles parent à la manière d'une poupée ("taghunja") qu'elles promènent de village en village et qu'elles suivent en cortège jusqu'à ce que tombent les premières gouttes.

Comme l'arc-en-ciel qui fait une révérence à la pluie de ses couleurs, la poupée parée de ses plus beaux atours s'appelle aussi "taslit n unzar": la fiancée de la pluie.

Le métier à tisser représente l'univers et les cycles de la vie. Les tisserandes voient et possèdent le monde à travers ses trames. Leur pouvoir évoque le mythe de la femme toute puissante, "la mère du monde qui créa les étoiles et les nuages".

 

CT

 

 

Sources des informations: Samama, Y. (2000). "Le tissage dans le Haut Atlas marocain. Miroir de la terre et de la vie", Ibis Press et Editions UNESCO, Paris; Robichez, J. (1946). "Maroc central", Editions B. Arthaud, Grenoble-Paris; www.sejour-maroc.org

Sources des photos: Samama, Y. (2000). "Le tissage dans le Haut Atlas marocain. Miroir de la terre et de la vie", Ibis Press et Editions UNESCO, Paris; Robichez, J. (1946). "Maroc central", Editions B. Arthaud, Grenoble-Paris; www.guide-maroc.net; fr.ohmyglobe.com

Source des dessins: Samama, Y. (2000). "Le tissage dans le Haut Atlas marocain. Miroir de la terre et de la vie", Ibis Press et Editions UNESCO, Paris; Hajji, T. "Taghenja, la fiancée de la pluie au pays des Berbères", Editions Indigènes.

 

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